dimanche 17 novembre 2013

Scoria burana, 3. A la place de la réponse.

Lundi, matin.
Ouverture.

Il s'est assis, là dans le fauteuil, toujours le même. La nuit est derrière la porte. Des mots affluent. Des paroles assourdissent ses phrases les plus abruptes. Elles dérivent le flot de ses pensées amères, à force de vagues et de remous..



Il était parti sur le chemin, le long du fleuve tranquille. Il ne s’est pas retourné. C’était comme un mirage de feu, des présences hallucinées. Puis sont arrivées des formes bleuies par les nuages. L'eau est ce miroir sans tain où se sont effacés les fantômes de la nuit.
-La technique du brûlis, vous connaissez ? me demande-t-il.
Anéantir pour que se lèvent les cendres de l'oubli. Ne plus voir, ne plus entendre. Mais parler, oui.
Il y eut tant de femmes sur le chemin. Animales, laminaires, vent, sable, eau, toutes confondues.  Les connaissait-il mieux à présent ? Ou ne sont-elles devenues que traces intimes ? Elles n'existent pas. Elles ne sont que chair de sa mémoire. Et les grains de sable qui enrayaient le cours de leurs vies, se sont envolés. Et maintenant qu'il me parle,  il ne sent même plus le froid laissé dans le creux de ses doigts.

J’ai pensé que c’était comme une réponse. Mais ce n’était pas la réponse. C'était venu de ce souvenir de chair. Il ne voit plus que le dos d'un homme qui s'éloigne, puis l'absence d'une mère, penchée sur son travail, le soir. Comme une réponse, obsolète, indélicate, verveine de la nuit posée sur les veines de l'oubli. Déliquescence dont il ne reste que des traces, si vipères, si acides, si poison, mortifiées, solidifiées, stalactites de mots, de bois, de chêne, de pierre. Toutes englobaient leurs noyaux, de parures de soleil et d’aube. Il n'y eut plus de père, ni de mère, ni d'enfant. Il y eut ces mots nouveaux, d'homme et de femme pour tourner son regard vers l'avant.
-Mais est-ce suffisant ? demandaient ses yeux quand il tournait son regard vers moi.

A la place de la réponse. Peut-être même pour ne plus avoir à répondre. Ce qui est venu est tombé à côté, bruyant, violent, malmenant.
-Trop d’adjectifs ! Trop d’adjectifs ! Et rien pour mieux dire... soupirait-il.
Il se tait. Vient maintenant le silence tapis derrière les mots.

A la place de. Et dans ce discret décalage, ne lui reste désormais dans les doigts qu’un peu de mots qui glissent, qui colonisent la vie, qui colorisent, qui bémolisent. Ils font entendre un écho. Ils racontent. C'est comme une langue étrangère qui vient les habiller. Sans amertume, avec moulte ratés, avec tendresse, et avec, en prime, le pardon de la pluie qui pianote sur la vitre.

Lundi matin. Libre cours aux mots.


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